Contre le silence

" Rivières. Les tempêtes. Foudre. Les montagnes. Arbres. Lumières. Pluies. Océans sauvages. Emmenez-moi au cœur frénétique de votre articulation. Prends-moi !"

Une spirale ne commence jamais, ne se termine jamais. Elle tourbillonne et tourne sans fin. Alors, où commence son histoire ? En plein milieu.

Dans les années 1970, l'écrivain et peintre haïtien Frankétienne a publié Ultravocal, un roman qui n'en était pas vraiment un. Il décompose le langage, la forme et le sens, transformant l'outil d'expression le plus conventionnel en une déclaration abstraite de révolution. Puis vint L'Oiseau Schizophone, où la typographie se fracturait, les collages envahissaient le texte et les récits s'éparpillaient.

Mais cela ne s'est pas produit de manière isolée.

Dans les années 1960, en Haïti, terre meurtrie par la dictature et l'oppression, trois écrivains ont donné naissance à quelque chose de radicalement nouveau :

Le mouvement Spirale.

Frankétienne. René Philoctète. Jean-Claude Fignolé.

Ensemble, ils ont rejeté la ligne droite. Ils ont choisi la spirale.

Pourquoi une spirale ? Parce que la réalité n'est pas linéaire. Pas en Haïti. Ni dans l'univers.

Il s'est tordu, a fait des boucles, s'est fissuré, s'est effondré et est revenu.

Le spiralisme reflète ce chaos et refuse de l'apprivoiser.

La tempête était le style.

Une langue totale, comme l'appelait Frankétienne.

Il mêle poésie, théâtre, science, peinture, philosophie.

Le français et le créole haïtien s'entrechoquent, non pas pour expliquer, mais pour agiter, tordre, tourner, tourbillonner et vibrer.

Sentir.

Le spiralisme était une rébellion contre les récits linéaires et simplistes qui sous-tendent les esprits colonisés et fragmentés.

Contre le silence.

Frankétienne, né Jean-Pierre Basilic Dantor Franck Étienne d'Argent, est décédé en février 2025. 

Vous n'avez peut-être jamais entendu parler du spiralisme. Mais maintenant, vous en avez entendu parler. Alors, qu'allez-vous en faire ? 

écrit par Amer Chamaa

Frankétienne dans sa maison de Port-au-Prince, restée intacte après le tremblement de terre de 2010. Le pilier de droite représente une scène de la catastrophe, peinte par lui. Par © Corentin Fohlen / Divergence

Corentin Fohlen / Divergence pour l'UNESCO

Précédent
Précédent

Retourner le chercher

Suivant
Suivant

Qui regarde qui ? Le monde de Sophie Calle.