Le cas du cyclope

Le Cyclop : Une bête de ferraille grinçante 

Au fond de la forêt de Milly-la-Forêt, une créature attend. Immense, borgne, cousue d'acier, de béton, de miroirs et de folie : Le Cyclop. Jean Tinguely, Niki de Saint Phalle et une constellation d'amis l'ont fait naître. 

Construite pièce par pièce, en secret, pendant des décennies, la bête s'est lentement réveillée parmi les arbres. Aujourd'hui encore, elle bouge, grince, respire : une oreille géante se déplace, une balle roule dans son corps, d'étranges résonances surgissent, des engrenages s'entrechoquent et martèlent leur musique primitive. Le Cyclop est autant une machine sonore qu'une sculpture, inutile dans sa fonction mais vivante dans sa présence.

Jean Tinguely : L'humour des "anti-machines"

Ses sculptures, construites à partir des rebuts de la société industrielle, assemblages de ferrailles rouillées, déstabilisent le spectateur, l'interpellent avec humour et dérision. Ses anti-machines sont une critique de la société occidentale, inutiles puisqu'elles ne produisent rien, mais dédiées au sabotage des techniques modernes, les transformant en parodie.

C'était l'obsession de Tinguely. Non pas le progrès, non pas la perfection lisse de l'industrie, mais le hasard, le bruit, l'effondrement et l'ironie. Ses sculptures semblent sur le point de s'effondrer à tout moment, et pourtant elles continuent à bouger, rappelant que l'art n'est pas là pour réconforter, mais pour déranger.

Niki de Saint Phalle : Couleur, sauvagerie, fureur

À l'intérieur du Cyclop, on retrouve également la main de Niki de Saint Phalle. Des mosaïques qui explosent de couleurs, des visions mythologiques, des formes sensuelles, une énergie féminine brute. Là où Tinguely injecte une satire mécanique, Niki apporte la force vitale, le mythe et l'indomptable. Ensemble, ils ont donné naissance à un monstre hybride : mi-machine, mi-mythe, tout chaos.

Le cyclope se tient debout et se confond avec les arbres.

Un monument chaotique et collectif

Le Cyclop est un organisme vivant, bricolé par une communauté d'artistes : César, Arman, Spoerri, Pol Bury, et d'autres. Chacun a laissé sa marque. Le résultat n'est ni net ni linéaire, mais un labyrinthe de sons et de visions, obstinément imparfait, spiralé et résolument chaotique.

Et c'est peut-être pour cela qu'il est encore important. Elle dit ce que la culture officielle ne veut pas dire : que la beauté vient souvent du désordre, que la liberté grandit dans l'improvisation et que la forêt fait un meilleur musée que n'importe quel palais de marbre.

Aujourd'hui à Paris : Tinguely & Saint Phalle

Pour ceux qui ne peuvent pas se rendre en forêt, le Grand Palais à Paris accueille l'exposition Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hultén (jusqu'en janvier). L'occasion de se plonger dans ce partenariat électrique et de voir comment deux artistes ont fait exploser la définition de ce que pouvait être l'art.

Le cyclope comme manifeste

Le Cyclop n'a ni morale, ni fonction, ni programme. C'est une bête borgne et bruyante qui nous rappelle une vérité simple : parfois, les choses les plus nécessaires sont précisément celles qui ne servent à rien.

Dans un monde obsédé par la productivité, l'efficacité et le contrôle, ce tas de ferraille sauvage murmure le contraire : être inutile, être libre, être chaotique.


👉 Le Cyclop - Site officiel
👉 Exposition au Grand Palais - Niki de Saint Phalle & Jean Tinguely


écrit par Amer Chamaa

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